L’autre face de Viva Caporetto

Patriotisme et pacifisme chez Malaparte

Viva CaporettoC’est en 2012 que ce pamphlet du romancier italien Malaparte est enfin devenu accessible au public francophone. Petit livre maudit rédigé pendant l’hiver 1918-1919 (à Saint-Hubert, dans nos Ardennes !) par un tout jeune homme qui a participé héroïquement comme volontaire à la Première Guerre mondiale. Blessé, gazé, décoré… mais pas dupe, il décrit, sans concessions à la propagande patriotique, un épisode marquant de la participation italienne à la Grande Guerre.
Le 24 octobre 1917, face à une attaque autrichienne très bien préparée, la Deuxième Armée italienne subit ce qui est officiellement une cuisante défaite : 30.000 tués, 300.000 prisonniers, 400.000 hommes qui jettent leurs armes.
Malaparte (qui aura par la suite un parcours politique très sinueux) nous décrit ce moment de honte de l’Italie officielle comme la révolte des fantassins, ce qui est évidemment très différent.

Pour apprécier ce livre, dérangeant pour la rhétorique patriotique et qui fut interdit dès sa parution, il faut faire l’impasse sur le premier et les deux derniers chapitres, ajoutés fin 1920, gorgés d’emphase et illisibles aujourd’hui. Mais dès la fin du deuxième chapitre on entre au cœur de cette description exceptionnelle.
Malaparte voit dans la Première Guerre mondiale une situation encore inédite jusque-là (et qui n’est plus d’actualité aujourd’hui). La société bourgeoise et capitaliste d’Europe fait exceptionnellement appel au peuple tout entier pour venir à son secours. Elle arme les masses alors que jusque-là les guerres avaient surtout (sauf en période révolutionnaire) été menées par les armées professionnelles. Le prolétariat, généralement expulsé des luttes internationales et chœur muet des négociations et congrès, est donc armé. Ces masses, venues des campagnes et des usines, forment les fantassins parmi lesquels combat Malaparte et dont il témoigne des souffrances. Continue reading

Femmes en Noir ou l’art de la protestation

Juillet 2011. Je suis chez moi assise tranquillement à siroter une boisson rafraîchissante et à lire « Causette », mon magazine préféré. Après avoir lu un article sur le football chez les SDF, je suis confrontée à une photo qui m’ interpelle. Un sentiment de déjà vu. Cette photo présente une femme, seule, vêtue de noir montrant un calicot sur lequel on peut lire « Murder is a crime. What’s war? ». Ce calicot est signé Women in Black.

Dans le cadre de mon mémoire de fin d’études [1], je me suis intéressée au groupe de femmes Women in Black. Depuis, six années se sont écoulées et je n’ai malheureusement plus eu l’occasion de me replonger dans ce sujet. Aussi, voir cette photo dans un magazine destiné aux femmes non militantes, aux femmes de ma génération, magazine tiré à plus de 40 000 exemplaires, m’a remplie d’espoir. Les femmes militant pour un monde plus juste peuvent aussi être vues et entendues.

Mais, qui sont ces « Women in Black », ces « Femmes en Noir ». En 2006, lorsque j’ai écrit mon mémoire, il était difficile de trouver des informations sur ce mouvement car peu d’études avaient été réalisées sur le sujet.  Les informations, tant scientifiques que journalistiques, concernant les femmes sont très souvent orientées sur leur statut de victime et de « minorité » dans la société. Il n’a été mené que très peu d’études dont le but est de montrer que les femmes peuvent elles aussi avoir un pouvoir de décision pour changer l’état des choses.

Le mouvement des Femmes en noir est né en Israël lors de l’Intifada de 1987. La première nuit des affrontements, des hommes et des femmes de gauche se sont retrouvés en se demandant comment ils pouvaient mettre en scène leur opposition à l’occupation israélienne. S’inspirant des mères de la place de Mai en Argentine, ils décident de se rassembler sous la forme d’une vigie, habillés de noir. Au début ils n’étaient que sept (deux hommes et cinq femmes), mais petit à petit ils sont devenus de plus en plus nombreux et la nouvelle de ce nouveau rassemblement s’est répandue comme une traînée de poudre.  Finalement d’un groupe mixte, ce rassemblement est devenu entièrement féminin.

D’une manière assez graduelle, le mouvement des Femmes en Noir, initialement israélien, est devenu international. D’abord ce furent les Italiennes qui reprirent ce mode opératoire à leur compte, créant les « Donne in Nero ». Avec le début de la guerre en Yougoslavie, ce fut le tour des femmes de Belgrade de se dresser contre la guerre. De ces trois lieux de protestation s’est répandu un mouvement international présent aujourd’hui dans plus de 30 pays.

Ce mouvement des Femmes en Noir est donc un rassemblement de femmes pacifistes luttant activement contre les injustices, la guerre, le militarisme et toutes formes de violence.

Leur façon de manifester est très caractéristique et ressemble d’une certaine manière à une prouesse artistique. Certains l’appelleraient une performance, d’autres une mise en scène. Mais quoi qu’il en soit cette façon de protester ne peut passer inaperçue.

Elles veillent debout, habillées de noir, car le noir représente la violence en tout genre, autant physique que symbolique. « Nous portons le noir parce que nous exprimons notre deuil pour toutes les victimes de cette guerre et d’autres guerres, ces femmes et ces hommes que nous connaissons et ceux que nous ne connaissons pas. Nous sommes en noir parce que cette guerre a détruit des êtres humains et la nature, parce qu’elle a détruit les liens entre les gens, parce qu’elle a détruit les valeurs positives » (Extrait d’un tract des Femmes en Noir de Belgrade).

Elles veillent en silence, d’abord parce que le silence est le sort de beaucoup d’individus vivant en temps de guerre, de répression et de violence. Et ensuite parce que le silence montre leur volonté de ne pas exprimer des paroles vides de sens et par conséquent de ne pas agir comme le font les dirigeants des pays belligérants.

Malgré le côté informel et non hiérarchique de leur organisation, elles sont unies et organisées et ont  des dénominateurs communs qui les rassemblent.

  • Dans chaque pays où elles sont représentées, ces femmes manifestent sous forme de « vigies ». Ce terme vient du mot latin vigilare et signifie « veiller ».
  • Mais parfois leurs protestations peuvent prendre d’autres formes afin d’avoir un plus large champ d’action et des résultats plus importants.
  • Ensuite, pour se définir Femmes en Noir, il faut que le groupe proteste contre la politique de son propre gouvernement.
  • Finalement, afin de se soutenir et de s’encourager, elles se sont organisées autour d’un site internet www.womeninblack.org sur lequel il est possible de trouver de nombreuses informations intéressantes à propos des actions entreprises par ces femmes dans plusieurs pays. Effectivement, chaque pays, chaque culture a sa particularité propre, a sa problématique unique. Ces femmes expérimentent donc la réalité et ses conséquences de manière spécifique. Internet permet ici, comme dans beaucoup d’autre cas de militantisme, de pouvoir communiquer et de s’encourager les unes les autres. Savoir que nous ne sommes pas seules au monde à protester est un encouragement en soi.  Dernièrement nous avons vu des révolutions se déclencher sur de simples « tweet »[2]. Des centaines de milliers de personnes se sont encouragées à se dresser contre leur gouvernement. Elles ont réussi à faire ce qu’elles n’avaient jamais osé faire : protester. Les Femmes en Noir du monde entier se rencontrent donc virtuellement et trouvent dans internet un refuge grâce auquel elles peuvent communiquer, s’encourager et s’informer.

Cynthia Cockburn dans son livre « From where we stand. War, women’s activism & feminist analysis »[3], s’est intéressée au ressenti des femmes lors des vigies. Pour beaucoup d’entre elles, le simple fait de se trouver dans un espace public et d’exprimer exactement qui elles sont et ce qu’elles font (« Femmes contre la guerre ») est une source de satisfaction. De plus, pour certaines d’entre elles, cette forme de protestation, silencieuse et statique, peut être une sorte de pratique spirituelle, tandis que pour d’autres cela représente un poids lourd, comme quelque chose qu’elles doivent faire. Cockburn a recueilli le propos d’une femme italienne (traduction de l’anglais au français non officielle): « Je ressens le manque de connexion avec le public. C’est comme si nous venions de mondes différents. Cela me paraît donc évident de la distance qui nous sépare de la majorité et j’en souffre. ».

Protester contre son propre gouvernement peut amener à des situations dangereuses surtout lorsqu’il s’agit d’une nation en guerre ou d’un pays en proie à un violent nationalisme. Cette manière de protester demande donc  beaucoup de courage car se tenir droites, en silence, habillées en noir sur une place publique en pleine heure d’affluence, entourées d’hommes en armes, les expose dangereusement et les fragilise. Mais il ressort de l’étude de Cynthia Cockburn que la satisfaction de pouvoir dire les choses et de les exprimer est plus importante que le manque de sécurité.

Tout militantisme demande du courage car d’une certaine manière nous nous mettons à nu devant une masse uniforme. Il est plus facile de rester chez soi à regarder le monde évoluer sans nous que d’y participer. Il me semble que pour les femmes l’exercice est d’autant plus difficile puisqu’elles ont toujours été confinées dans l’espace intérieur et dans un monde de silence. Les femmes, qui constituent pourtant bien la moitié du monde, ont longtemps été oubliées dans la gestion des conflits armés. Malgré leur statut de victimes, elles n’ont pas de place dans les prises de décision qui accompagnent la prévention ou la résolution des conflits.  Ceci a heureusement tendance à changer et un retournement dans les prises de conscience commence à s’opérer. Au sein des Nations Unies, la résolution 1325 du Conseil de Sécurité fournit un cadre pour une réponse internationale sur l’intégration et la prise en compte des femmes dans les résolutions de conflits armés. Il y est écrit:

« Réaffirmant le rôle important que les femmes jouent dans la prévention et le règlement des conflits et la consolidation de la paix et soulignant qu’il importe qu’elles participent sur un pied d’égalité à tous les efforts visant à maintenir et à promouvoir la paix et la sécurité et qu’elles y soient pleinement associées, et qu’il convient de les faire participer davantage aux décisions prises en vue de la prévention et du règlement des différends. »[4]

Comme femmes nous avons un potentiel qu’il est important de développer. Que cela soit dans notre travail, dans notre famille ou dans le monde qui nous entoure, nous avons le droit de nous exprimer. Ce n’est pas une obligation, mais un droit. Pour celles qui se sont battues afin de nous donner une voix, mais aussi pour toutes celles qui aujourd’hui encore militent pour que nous soyons entendues en tant qu’actrices d’un monde en paix. Les Femmes en Noir, par leur action, sont un exemple pour toutes celles qui veulent agir.

 Danaé List



[1] Les femmes en noir, une conjonction du féminisme et du pacifisme, mémoire en sociologie, ULB.

[2] Un tweet est un message de 140 caractères maximum posté sur le réseau social tweeter

[3] COCKBURN C., From where we stand. War, women’s activism & feminist analysis, Zed Books, London, 2007

[4] S/RES/1325 (2000)

Femmes en lutte dans les révoltes arabes

Les révolutions qui agitent le monde arabe, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, nous ont valu un certain nombre d’images de femmes. De l’étudiante tunisienne cheveux au vent, juchée sur les épaules d’un camarade et exhibant le fameux « Dégage » adressé à Ben Ali à la jeune fille égyptienne en jeans et foulard rassemblant les matériaux d’une barricade dressée contre les sbires de Moubarak en passent par des femmes de toutes conditions se joignant aux manifestations… Qu’espèrent-elles? Que veulent-elles? Leurs revendications sont elles spécifiques?

Toute l’ambiguïté de ce mouvement large et inattendu se retrouve dans ces questions. Les médias ne manqueront pas d’insinuer que ces femmes sont manipulées, puisque éternelles mineures et à tout jamais incapable de prendre des initiatives. Les uns assureront qu’elles ont été manipulées par les Américains, désireux par exemple de liquider enfin leur ennemi de longue date, Khadafi. Pour d’autres, elles seraient au service – consciemment ou non – d’islamistes.

Nul ne sait à l’heure où sort ce bulletin quel sera l’avenir de ces révolutions. Je pense que beaucoup de femmes y ont participé car elles ne pouvaient tout simplement plus supporter l’intolérable fait pour elles de difficultés matérielles quotidiennes, d’absence d’avenir pour elles et leurs enfants, de corruption, de flagrantes injustices et de répression sanglante de toutes les dissidences.

Auront-elles gagné dans cette bataille des avantages spécifiques pour les femmes? Pourront-elles demain dans tous ces pays être des égales des hommes? Hériter comme aux de leurs parents, exercer le métier qui leur plaît, se marier ou non, garder leurs enfants en cas de divorce ou comme mères-célibataires, prendre l’initiative d’un divorce, éradiquer la polygamie et les mutilations imposées aux filles?

Les femmes sont souvent appelées à la rescousse lors des guerres et révolutions. Leur détermination est alors présentée comme le symbole de l’unanimité qui soutient ces événements. Mais, sans être exagérément pessimistes, il nous faut aussi constater que l’histoire nous apprend (après la guerre en Algérie, chez nous après la Résistance…) que, ces crises passées, les femmes sont rarement remerciées autrement qu’en les renvoyant à leur condition passée, celle justement à laquelle elles ont pensé échapper le temps d’une explosion. L’histoire n’ayant rien d’une science exacte, où les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, gageons que, cette fois-ci au moins, la condition des femmes puisse tirer avantage de leur participation à ces vastes mouvements de contestation qui secouent le monde arabe.

Anne Morelli, avril-septembre 2011.

 

Stéphane Hessel

Indignez-vous de Stéphane Hessel *

Cet ouvrage de 23 pages, rédigé par Stéphane Hessel, a connu un succès retentissant. Depuis octobre 2010, il a été tiré à plus de 1 700 000 exemplaires et traduit dans plusieurs langues. S. Hessel, résistant anti-nazi, diplomate français, est toujours engagé à 93 ans pour les droits des roms, des sans papiers, du peuple palestinien. Il est le dernier co-rédacteur vivant de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948. Dans son pamphlet, il évoque les pistes pour mettre un terme au néolibéralisme et au manque de respect pour la planète. Il prône la mise en commun de nos indignations afin de contrer l’indifférence véhiculée par les médias devant le spectacle de la banalisation des guerres, de la misère, des inégalités sociales et de la dictature des marchés financiers,…

Après ce succès planétaire, il publie en mars 2011 « Engagez-vous » **, un ouvrage d’une centaine de pages qui représente pour lui « un appel aux jeunes générations à se révolter et à s’engager ».

* Editions Indigène, Collection Ceux qui marchent contre le vent, octobre 2010.
** Editions de l'Aube, mars 2011.